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Label Evil Penguin |
UPC 0608917723526 |
Catalogue number EPRC 0048 |
Release date 04 November 2022 |
"Le 10 décembre 1822, le jour même où le maître de la symphonie, Ludwig van Beethoven, mettait la touche finale au manuscrit d'une œuvre qu'il considérait à juste titre comme son chef-d'œuvre le plus parfait - la Messe en ré majeur - un enfant naquit, destiné à devenir le véritable successeur du Maître de Bonn..."
Vincent d'Indy – un disciple dévoué de César Franck (1822-1890) alors que Franck lui-même était proche de la mort – ouvre le premier chapitre de son étude de 1906 sur son mentor avec la citation ci-dessus, le plaçant audacieusement aux côtés du génie Beethoven au panthéon des grands compositeurs. Le décrire comme un « successeur » évoque l'image d'un flambeau passé directement de Beethoven à Franck, qui s'inscrit ainsi dans la continuité d'une certaine lignée musicale.
Cependant, la réalité est plus compliquée que cela, et bien que Beethoven ait eu un grand impact sur certains aspects de la production de Franck, cette idée d'une continuation directe n'est pas aussi simple que le suggère d'Indy.
En fait, différentes influences ont contribué à la méthode de composition caractéristique de Franck. Deux d’entre elles eurent d’ailleurs un impact substantiel sur son style tardif : d’une part, la tradition austro-allemande, en particulier la notion d'unité structurelle ; et d’autre part la tradition française, le pays où il vécut la grande majorité de sa vie.
La littérature traitant de la musique de César Franck est malheureusement quelque peu rare. De ce fait, sa position de grand révolutionnaire de la musique française a trop souvent été écartée, et il fait Presque figure d'anomalie de la fin de la période romantique. Cela peut être attribué aux multiples façons dont Franck l'homme et Franck le musicien défient toute classification standard, jonglant constamment entre deux mondes.
La question de l'identité nationale de Franck est un exemple de cette dualité constante. Franck est né à Liège, une ville de l'est de la Belgique et ce lieu aura une grande influence sur lui. Avant l'année 1830, l’état belge n'existait pas encore et le pays étant partagé entre les provinces flamande et wallonne (et celles qui n’étaient attachées à aucune souveraineté). Liège elle-même se trouvait dans la région wallonne, connue pour son amitié avec la couronne française. Il existait par conséquence une affinité culturelle étroite avec la France. Avec la Révolution belge de 1830, ce lien avec sa voisine s’affaiblira, mais la vie de Franck empruntera au même moment un nouveau chemin. Ayant montré dès son plus jeune âge une grande aptitude pour la musique – il excellait au Conservatoire Royal de Liège – son père décida de déménager avec sa famille à Paris en 1835 avec l'intention que son fils César poursuive une carrière dans la musique. Le compositeur restera dans la capitale française pour le reste de sa vie, et là réside le premier défi quant à la “classification” de Franck: bien qu'étant belge par la loi, la nature de la vie pré-révolutionnaire à Liège couplée à son émigration permanente à Paris feraient de César Franck un compositeur français. Certains aspects de sa musique contiennent des éléments belges, comme le thème principal des Variations symphoniques, qui a des liens mélodiques et rythmiques avec le cramignon, une danse originaire de Liège, mais ces allusions demeurent subtiles. Malgré ces doux clins d’oeil à son pays natal, son départ définitif de Belgique se confirmera en 1873, date à laquelle il sera naturalisé français.
En plus de cette ambiguïté nationale, il y a toujours eu un écart entre Franck, la personne et la musique qui coulait de sa main. Connu pour son humilité, sa modestie et son extrême gentillesse, ainsi que pour son côté ardemment religieux, ses buts dans la vie étaient simples : servir la musique et Dieu avec le plus grand dévouement. Comparé au stéréotype de la personnalité de l’artiste romantique – caractériel, libre d'esprit, confiant et impulsif – Franck détonne en partageant plus de points communs avec le milieu religieux médieval qu'avec ses contemporains.
Cependant, cette impression que nous avons de sa personnalité doit être considérée avec précaution, car "il est de fait que ceux qui ont écrit le plus vivement sur lui se trouvent aussi être ceux qui ont le moins eu recours à l'impartialité" : une grande partie de la littérature sur Franck a été écrit par ses étudiants dévoués (d'Indy étant le meilleur exemple), il y a donc de fortes chances qu'il y ait un parti pris dans leur critique.
Des atmosphères de sérénité et de profonde spiritualité propres à son personnage se retrouvent souvent dans sa musique, mais une grande partie de celle-ci véhicule également un aspect contraire. Des moments d'excitation et de grandeur, ainsi qu'un langage chromatique si chargé d'émotion qu'on le qualifie d'"érotique", brossent un tout autre tableau. Squires met en évidence cette nouvelle dualité en décrivant la « passion et le romantisme » dans une grande partie de l’oeuvre de Franck, surtout la Sonate pour Violon.
On pourrait dire que les fréquents moments d'intensité émotionnelle dans la musique de Franck fournissent un reflet supplémentaire de sa foi. Son objectif principal en tant que compositeur étant de rendre grâce à Dieu à travers sa musique, la coexistence d'une spiritualité introvertie et d'un épanchement passionné fournit une démonstration explicite de la nature divine de sa production plus tardive.
La particularité de César Franck est que sa réputation repose sur un nombre relativement restreint de pièces qu'il a écrites vers la fin de sa vie. Il s'était déjà fait connaître en tant qu'interprète, pédagogue et compositeur (certaines de ses premières pièces pour orgue et trios pour piano, par exemple, sont encore jouées aujourd'hui), mais ce n'est qu'à la fin des années 1870 qu'il composera les pieces qui sont désormais considérées comme ses chefs-d'œuvre. À partir de la publication de son Quintette pour piano en fa mineur (1879), qui fut le premier ouvrage à exposer ses nouvelles expérimentations de la forme cyclique, ses compositions tardives englobent de multiples médiums : à travers la musique orchestrale à grande échelle (sa Symphonie en ré mineur, la Variations Symphoniques pour piano et orchestre et les poèmes symphoniques Les Chausseur Maudit et Les Djins), musique de chambre (le Quintette à cordes précité, la Sonate pour violon et son Quatuor à cordes), piano seul (le Prélude, Choral & Fugue et le Prélude, Aria & Finale), choral (l'oratorio Les Béatitudes, l'opéra Hulda et le poème symphonique pour chœur et orchestre Psyché) et l'orgue (ses dernières compositions, Les Trois Chorals).
Alors que presque tous les grands compositeurs ont produit de nombreuses œuvres dans des genres variés, ce n'est pas le cas de Franck. Néanmoins, son oeuvre plus tardive démontre une volonté d’utiliser une gamme plus variée d’instruments et de construire des contextes plus dramatiques. Ces pieces ont été écrites pendant une période de grands bouleversements culturels et sociaux, car un conflit important opposait la France à l'Allemagne, causé principalement par la guerre franco-prussienne de 1870-71. Cette tension va se refléter dans la vie musicale parisienne: Bien que les compositeurs austro-germaniques ont dominé les salles de concert jusqu'en 1870, l'issue de la guerre en faveur de la France a créé un énorme désir de restauration de la fierté nationale. Le sentiment qui prévalait alors parmi les compositeurs était de devoir écrire de la musique “typiquement française”. Mais une fois de plus, César Franck choisit de se distinguer. Bien que Français avec des tendances nationalistes similaires à ses contemporains, contrairement à eux, ses intentions essentiellement spirituelles se prêtaient à une approche plus cosmopolite. Par conséquent, tout en affichant des caractéristiques incontestablement françaises, Franck a également puisé dans des influences plus lointaines pour atteindre cet équilibre stylistique très personnel.
Ayant déménagé à Paris à l'âge de treize ans, sa vision musicale allait être façonnée par un grand nombre de facteurs, mais le plus important sera sans conteste l'immigrant tchèque Antonin Reicha. César Franck, trop jeune pour entrer au Conservatoire de Paris lorsqu'il est arrivé, a suivi des cours particuliers avec Reicha et Pierre Zimmerman (tous deux de la génération de Beethoven). C'est Reicha qui aura la plus grande influence sur le jeune César Franck. En plus d'employer des méthodes d'enseignement très farfelues impliquant le mysticisme, le chromatisme extrême et la polytonalité, Reicha a toujours maintenu l'importance des exercices de contrepoint. Grâce à de nombreuses études sur Bach et Haendel, il a ainsi développé une compréhension approfondie de l'écriture contrapuntique de la période baroque allemande, et ces techniques apparaissent tout au long de ses œuvres tardives.
L'étroite amitié de Reicha avec le «maître de Bonn» se reflétait sûrement dans ses leçons avec Franck, et on peut donc supposer qu'il a été éduqué à la cohérence thématique beethovenienne dès son plus jeune âge. À la suite de l'exposition de Franck aux chefs-d'œuvre austro-allemands, il aura une prise de conscience d'un concept particulier synonyme de cette tradition d'unité structurelle. L'idée d'une œuvre à plusieurs mouvements intégrée dans une seule entité a été incorporée dans une grande partie de la musique de Beethoven, qui a utilisé une variété de techniques pour unifier ses œuvres instrumentales à plusieurs mouvements, et elle a évolué tout au long du XIXe siècle chez des compositeurs romantiques tels que Schubert, Liszt et finalement Franck.
De plus, c'est en s'exposant à des œuvres telles que la Sonate pour piano de Liszt que Franck a pu construire son approche cyclique de la forme en adoptant et en étendant leurs procédures unificatrices. À cette fin, l'utilisation par Franck de la récurrence cyclique (la reformulation des thèmes tels quels dans les mouvements ultérieurs pour créer un lien thématique explicite) est déjà assez bien documentée, mais son appropriation du concept d'unité va plus loin qu’une “simple” technique de composition.
En tout cas, à la fin de sa vie, Franck avait développé une affinité profonde avec Bach, Beethoven et de nombreux autres maîtres austro-allemands, ce qui influencera grandement le style des pièces traitées dans cet ouvrage.
Entre la période baroque et le tournant du XXe siècle, l'écriture pour clavier et opera étaient les plus en vogue et les plus fructueuses sur le plan artistique de tous les médiums de composition en France. Un certain nombre de compositeurs de clavecin du baroque français en sont responsables : Jean-Philippe Rameau, considéré comme le véritable ancêtre de la musique pour piano française moderne. Alors que la musique pour clavier de son grand contemporain Couperin restait souvent enracinée dans la netteté du contrepoint baroque, celle de Rameau était tout à fait différente. Il a en effet développé un idiome plus lyrique, axé sur la mélodie, dans lequel «un air et un accompagnement étaient la règle plutôt que l'exception», et donc un style fleuri qui s'adaptait beaucoup plus facilement au pianoforte moderne. Les qualités qui étaient déjà depuis longtemps synonymes de la musique française - logique, clarté, modération et équilibre - sont toujours présentes dans ses nombreuses Suites pour clavecin, mais les percées dans l'harmonie et la texture ont certainement ouvert une nouvelle voie à l'écriture française pour clavier. En effet, César Franck est connu pour avoir possédé un exemplaire de l'intégrale de l'œuvre pour clavier de Rameau (édition Saint-Saëns), et sa connaissance de cette musique et de son importance ne peut être ignorée.
Entre Rameau et Franck, un pianist compositeur issu des cercles musicaux de la capitale française s'est démarqué des autres. Frédéric Chopin, comme Franck, avait un héritage musical très disparate. Roy Howat écrit: « à moitié français de filiation, [il] a formé son style pianistique unique dans sa Pologne natale à partir d'un mélange de bel canto italien et de pianisme d'un Irlandais basé en Russie (John Field)”, avant de s'installer à Paris. Ceux-ci se sont combinés pour former un style pianistique unique aux lignes mélodiques délicates et fluides, pourvu d’une grâce féminine et d’une sensualité très éloignée du classicisme allemand - qui laissera sa marque sur tous les futurs compositeurs français.
Néanmoins, ce lyrisme délicat, qui était extrêmement populaire dans les salons de France où Chopin se produisait, est tombé en désuétude avec la montée susmentionnée de la domination austro-allemande dans le pays dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, à partir des années 1870 à Paris, les compositeurs français s'imposent en ramenant leur musique à ses racines. Et avec un si riche héritage de répertoire pour clavier dans lequel puiser, c'est dans ce médium que certaines des plus grandes œuvres de l'époque ont été écrites. Fauré, Dukas, Chabrier, Saint-Saëns et bien d'autres ont composé de la musique pour piano, chacun avec sa propre voix personnelle et pourtant s'efforçant (presque) toujours de se libérer des carcans de l'influence austro-allemande et de rester distinctement français dans le style. Des exemples notables incluent les Nocturnes de Fauré, les Variations, Interludes et Finale de Dukas sur un thème de Rameau, les Dix Pièces Pittoresques de Chabrier et l'Album de Saint-Saëns.
Alors que ses contemporains ont beaucoup écrit pour le piano solo, César Franck n'a laissé que deux œuvres de grande envergure - le Prélude, Choral & Fugue et le Prélude, Air & Finale.
En 1884, César Franck vivait le dernier chapitre de sa vie. Son développement musical connut différents stades, d'abord enfant prodige, puis organiste de renommée mondiale et professeur très recherché, il fut finalement engagé au Conservatoire de Paris comme professeur d'orgue en 1872, et l’occupera jusqu’à sa mort. Cependant, sa réputation de compositeur était encore incertaine - sa production consistait alors en diverses pièces maîtresses principalement pour orgue, une poignée de poèmes symphoniques et diverses pièces chorales (notamment sa célèbre mise en musique de l'hymne Panis Angelicus). Ce n'est qu'en 1884, et la publication du Prélude, Choral & Fugue, que César Franck commencera véritablement à développer sa voix personnelle - innovante et révolutionnaire tout en respectant les grands maîtres du passé, et en affichant un spiritualité à la fois introvertie et extravertie au sein de laquelle on peut trouver de nombreux parallèles avec les œuvres tardives de Beethoven. Et dans un siècle de musique pour piano dominé par des maîtres allemands tels que Beethoven, Schubert, Schumann et Brahms, cette œuvre peut sans doute être qualifiée d'ajout le plus important à la littérature pianistique française depuis l'époque de Rameau.
Les origines de la pièce remontent à une première répétition du poème symphonique de Franck pour piano et orchestre, Les Djinns. Après avoir été satisfait de la prestation du soliste Louis Diémer, Franck aurait dit « Vous avez très bien joué ; pour vous récompenser, je vous écrirai un petit quelque chose que je vous dédierai » – qui se révélera être le Prélude, Choral & Fugue.
Bien qu'elle soit jouée beaucoup moins fréquemment en concert que le Prélude, Choral & Fugue, cette œuvre n'en est pas moins magistrale dans sa construction et, écrite en septembre 1887, ce sera la dernière œuvre qu'il écrira pour piano. Bien que ces deux pièces partagent de nombreuses similitudes, une différence distincte est identifiée par le pianist Stephen Hough : le Prélude, Choral et Fugue a une saveur nettement religieuse, tandis que le Prélude, Aria et Finale est une version plus séculière de ce plan structurel tripartite, en témoignent les titres des mouvements lents (un Choral est un chant emprunt de spiritualité, tandis que l'Aria, avec ses connotations d'opéra, fait plus référence au monde des hommes) ainsi que les derniers mouvements (les fugues sont fortement associées à la musique d'église, tandis que le Finale ne pas partager cette connotation).
Franck a composé une poignée d'autres œuvres en plusieurs mouvements vers la fin de sa vie qui incorporaient le piano dans un ensemble (les Variations Symphoniques et le Quintette avec piano), et sa Sonate pour violon en la majeur entre également dans cette catégorie. La sonate instrumentale n'est devenue populaire auprès des compositeurs français que relativement tard. Alors que la tradition austro-germanique maîtrisait depuis longtemps ce médium – voir la multitude de Mozart et de Beethoven, notamment leurs 36 et 10 pour le violon respectivement – ce n'est qu'à l'époque de Saint-Saëns, Fauré et Franck que les compositeurs français ont commencé contribuer au genre. Après les horreurs de la guerre franco-prussienne, l'intérêt croissant pour la musique de chambre semble démontrer sa « vitalité inattendue en résistant à d'innombrables conflits d'art, de tempérament et d'origine, y compris ceux des goûts nationaux et wagnériens », et cette réputation repose entièrement sur les trois compositeurs mentionnés ci-dessus. Ils ont utilisé ce genre - qui serait normalement associé en France à de simples pièces de danse de style galant - comme véhicule pour certaines de leurs déclarations artistiques les plus audacieuses, et parfait pour les ressources financières limitées de la Société Nationale de Musique, qui a souvent lutté pour interpréter des œuvres orchestrales complètes.
Saint-Saëns achève sa première Sonate pour violoncelle en 1871, et Fauré sa première Sonate pour violon en 1876, mais ce n'est qu'en 1886 que Franck publie sa première et unique Sonate pour violon et piano. Et c'est avec ce travail que Franck a finalement reçu les éloges et l'admiration qui avaient en quelque sorte échappé pendant de nombreuses années à un homme si talentueux. Si les premiers succès que reçut la sonate à ses début résidaient dans la parenté musicale phénoménale que Franck partageait avec le violoniste Eugène Ysaÿe – la sonate a été écrite en pensant à sa technique violonistique, il en était le dédicataire, il a créé l'œuvre, et son nom est ensuite devenu la référence d’interprétation – elle a également résisté à l'épreuve du temps, étant l'une des rares œuvres de Franck à apparaître régulièrement sur la plateforme de concert.